L’étude de Greenpeace se rapproche de la proposition de… Jean-Marc Jancovici
Fin novembre 2022, Jean-Marc Jancovici faisait une proposition qui allait déclencher un tollé médiatique.
Au micro de France Inter, l’ingénieur et figure nationale sur le sujet du changement climatique, affirmait la nécessité d’agir et aussi dans le secteur du tourisme. Dans un monde fini, il n’est pas possible de vouloir y bruler tous les hydrocarbures et espérer s’en sortir à bon compte, sans jamais rien changer.
Pour limiter les émissions carbone et espérer se maintenir pas trop éloigné de l’Accord de Paris, afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, Jean-Marc Jancovici s’est dit favorable à une limitation des vols à 4 dans une vie.
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« L’avion représente 8% du pétrole mondial, il est né avec le pétrole et va mourir avec lui. Il n’existe pas de solution technique à l’échelle (industrielle, ndlr) pour conserver les quelques milliards de passagers aériens par an.
Pour gérer moins, il existe deux options : gérer par les prix ou les quantités. Je trouve que de gérer par les quantités est plus égalitaire que par les prix. Après ça peut être 2 ou 5 vols, je n’ai pas fait les calculs, » argumentait alors le président du Shift Project.
Un an plus tard, en guise d’anniversaire à cette proposition, Greenpeace a demandé au cabinet de conseil BL Evolution de justement faire le calcul. Et surprise ou non, l’étude révèle que Jean-Marc Jancovici n’est pas mauvais en mathématique.
France : Des émissions de 261 kg CO2 par passager et par vol ?
Tout d’abord, revenons sur l’Accord de Paris, obtenu à bout de larmes par François Fabius, lors de la Cop21.
Il y a 8 ans, l’ancien ministre obtenait à l’arraché l’engagement des pays participants à l’évènement de limiter le réchauffement climatique à hauteur de 1,5 degré, d’ici à la fin du siècle.
Alors que nous ne sommes pas vraiment dans les clous pour atteindre l’objectif, le cabinet de conseil BL Evolution s’est basé sur deux scénarios établis par le GIEC plus ou moins optimiste, pour réaliser son calcul.
Le SSP1-1.9 lui prévoit une probabilité supérieure à 50 % d’un réchauffement limité à 1,5 °C, grâce à une évolution croissante vers des pratiques durables. Quand le SSP1-2.6 lui imagine, une probabilité supérieure à 67 % d’un réchauffement limité à 2 °C, sans déviations substantielles par rapport à nos modes de vie actuels.
En partant sur ces deux schémas, le cabinet a donc établi un budget d’émission de CO2 pour l’ensemble de l’humanité, allant du simple au triple.
Il a aussi fallu définir l’impact de l’aérien sur les émissions carbone et malheureusement la chose n’est pas vraiment aisée.
Puisque le secteur s’appuie sur un vide en matière de comptabilité carbone, car ne sont jamais comptabilisées les émissions des vols long-courriers.
Aérien : Des vols majoritairement de loisirs ?
« Doit-on considérer le pays de départ, celui d’arrivée, celui qui est survolé, celui de la compagnie ou celui des passagers ? » questionne Greenpeace dans son rapport de 15 pages. Pour répondre à la question posée, la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) utilise la convention demi-croisière (la moitié des émissions est affectée au pays de départ, l’autre moitié au pays d’arrivée).
En se basant sur cette définition, l’inventaire des émissions de gaz à effet de serre de l’aérien en France passe de 4,8 Mt CO2 par an à… 23,4 Mt CO2, en 2019, pour 179,56 millions de passagers. Nous obtenons alors 261 kg CO2/passager/vol.
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« Cette méthode sous-évalue certainement la part réelle des Français, car il est probable qu’il y ait plus de Français qui volent hors de France que de personnes de nationalité étrangère qui volent en France, » poursuit le cabinet de conseil B&L Evolution.
Donc l’empreinte carbone est recalculée à hauteur de 26,6 Mt CO2 en 2019, soit 0,06 % des émissions CO2 mondiales en 2019.
Dans le même temps, 40 % de la population française n’est jamais montée dans un avion, mais en plus les voyages familiaux sont plus que rares.
« En 2018, les 2/3 des voyages en avion sont réalisés pour le loisir, tandis que le tiers restant se répartit à peu près équitablement entre vols professionnels et vols familiaux, » poursuit l’étude.
Le rapport a aussi émis quelques hypothèses, comme le poids grandissant du long-courrier et les progrès technologiques.
Pour maintenir l’Accord de Paris, un vol tous les 10 ans ?
Le cabinet a anticipé un gain très ambitieux de 3% par an, lié non seulement à l’innovation et aux carburants durables. Entre 2000 et 2021, les émissions ont décru en moyenne de 1,4% par an, selon le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
La méthodologie étant partiellement expliquée, nous pouvons entrer dans le vif du sujet et commenter les propositions de Greenpeace.
Pour respecter l’Accord de Paris et dans le cadre du scénario le plus optimiste SSP1-1.9, nous devrions limiter le nombre de vols à 2 allers-retours long-courriers (ou 7,5 allers-retours, tous vols confondus), jusqu’au 1er janvier 2050.
Pour rappel, la trajectoire actuelle est très éloignée du 1,5 degré fixé par la COP21, puisque nous sommes déjà un réchauffement global de 1,2 degré. Nous devrions donc faire des efforts très importants.
Dans le cadre du 2e scénario privilégié, donc d’une hausse limitée à 2 degrés, lui aussi assez peu probable, nous devrions alors seulement limiter à 5,5 vols allers-retours long-courriers (toujours jusqu’au 1er janvier 2050).
La proposition souhaite maintenir une sorte d’équité sociale, en répartissant l’effort sur l’ensemble de la population, même si les classes les plus aisées ont une consommation de l’aérien et une pollution bien plus importante que le reste des Français.
Greenpeace : « Aujourd’hui les Français prennent un long-courrier tous les 5 ans«
« Forcément si on a l’habitude de prendre l’avion ça paraît peu. Néanmoins, aujourd’hui les Français prennent un long-courrier tous les 5 ans en moyenne, ça n’est donc pas si révolutionnaire et ça n’est pas rien du tout.
La rareté peut rendre ces grands voyages encore plus uniques et mémorables.
C’est aussi une moyenne : pour certains usages, comme les familles éclatées sur plusieurs continents, l’avion reste nécessaire et inévitable, » analyse Alexis Chailloux, le responsable voyage bas-carbone chez Greenpeace France.
Dans le même temps, Greenpace appelle à réguler le secteur aérien, en mettant fin aux avantages fiscaux dont il bénéficie, avec l’exemption de taxe sur le kérosène et de TVA sur les billets d’avions internationaux.
Et l’ONG estime aussi qu’il serait plus judicieux d’allouer ces ressources dans les transports bas carbone, notamment le ferroviaire, pour lutter contre le dérèglement climatique.
Elle invite à la création d’un moratoire sur les extensions d’aéroport, ainsi qu’un plafonnement à la baisse des mouvements dans les principaux aéroports français.
De plus, Greenpeace émet l’idée d’interdire les publicités faisant la promotion de produits et services néfastes pour le climat, comme ceux du secteur aérien.
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