L’institut d’études spécialisé dans l’analyse économique sectorielle Xerfi vient de publier une étude sur « Le marché du tourisme durable – Succès de l’écotourisme, du slow tourisme, de l’itinérance douce : quelles stratégies d’adaptation pour les acteurs traditionnels ? ».
Et c’est vrai que, plus que jamais, la question se pose. La crise climatique n’est plus à nos portes mais bel et bien en train de transformer nos vies. Nous devons changer de regard sur le vivant, réduire notre consommation d’eau et d’énergie, changer nos modèles agricoles, réinventer notre manière de voyager.
Chacun en est conscient, et, dans le tourisme comme ailleurs, c’est tout une industrie qui doit opérer sa mue. Le besoin est réel, pour des raisons de développement durable mais aussi pour suivre la demande croissante de la clientèle. En gros, le tourisme doit transformer son offre ou fermer ses entreprises… Ou peut-être pas ? Ou peut-être pas encore ? Au-delà des impressions biaisées par l’endroit d’où on regarde, Xerfi propose une étude sur la question.
L’étude « Le marché du tourisme durable – Succès de l’écotourisme, du slow tourisme, de l’itinérance douce : quelles stratégies d’adaptation pour les acteurs traditionnels ? » a pour but à la fois d’analyser le marché et ses perspectives à très court terme (2025), d’identifier les acteurs via une cartographie des spécialistes du tourisme durable, et de décrypter les tendances et les stratégies développées pour coller à une demande et un besoin de durabilité.
Le tourisme durable, une révolution en marche ?
Face à la prise de conscience citoyenne, le secteur du tourisme se réinvente et réfléchit à de nouvelles manières de voyager. De plus en plus, les jeunes entreprises du tourisme se tournent vers l’écoresponsabilité. On voit naître des start-ups liées à l’hébergement durable ou qui misent sur le développement du rail et des mobilités douces. Les agences réceptives valorisent l’authenticité ou l’agrotourisme bio, et se tournent vers des agences de voyages ou TO qui de leur côté optent pour le local.
« Pour certains tour-opérateurs (TO) spécialisés sur ces segments, l’audience en ligne a connu une croissance vertigineuse ces dernières années, en hausse de 60% entre 2016 et 2022 » indique l’étude Xerfi, ajoutant que leur chiffre d’affaires devrait augmenter en moyenne de 10% par an d’ici 2025.
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Une tendance forte, sur laquelle parie Cathy Alegria, directrice d’études : « à terme, ces voyages écolos vont bousculer radicalement le modèle dominant. Les transports choisis pour se déplacer, les destinations et les hébergements vont changer. On peut en effet supposer que le train supplantera le vol long-courrier, les pays du nord de l’Europe remplaceront ceux du pourtour méditerranéen et les logements à taille humaine s’imposeront face aux resorts géants ».
Les 3 grands piliers du tourisme durable
Si l’on en croit l’étude Xerfi, le tourisme durable évolue essentiellement autour de 3 grands sujets :
Le transport :
« Les cartes vont tôt ou tard être rebattues entre les transports choisis pour se déplacer » affirme l’étude Xerfi. L’impact environnemental du secteur aérien est tel qu’il sera de plus en plus compliqué d’en faire un usage systématique comme c’est encore le cas aujourd’hui. D’abord parce que la clientèle ne suivra plus, mais aussi et surtout parce que la législation le décidera.
Quotas, augmentation des taxes sur les billets d’avion pour réinvestir dans le rail… « Quel que soit le levier utilisé, la modération des déplacements en avion apparaît probable et obligera bon nombre d’acteurs du tourisme à s’adapter » estime l’étude, visant notamment les voyagistes dont l’offre dépend essentiellement du long-courrier.
L’hébergement :
L’hygiène et le confort, qui sont les valeurs sûres de l’hôtellerie et notamment les grands groupes, feront moins recettes. C’est l’attrait pour l’expérience et l’authenticité qui donne de plus en plus de visibilité aux hébergements écoresponsables. L’envie de se sentir seul au monde aussi, quand les grands resorts couvrent des étages de chambres qui se ressemblent toutes.
Outre les attentes de la clientèle, l’étude note que « les grands resorts aux impacts environnementaux gigantesques vont être sommés de se réinventer sous peine d’entamer un déclin irrémédiable ». L’hôtellerie à taille humaine, les petits établissements familiaux, les gîtes, les logements insolites sont d’ores et déjà préférés par une clientèle qui souhaite bien souvent se reconnecter au vivant à mesure que la situation climatique lui échappe.
La destination :
Entre le plan Destination France et le Fonds Tourisme Durable, l’Ademe et les pouvoirs publics misent tout sur le local. Cette action est moteur en région et nombre d’entre elles se lance dans des initiatives durables. C’est le cas de la Nouvelle-Aquitaine et ses 25 séjours bas-carbone, du projet « partir ici » en Auvergne Rhône-Alpes, ou encore de Provence Tourisme à Marseille qui souhaite ancrer toute son action dans une démarche durable.
Mais à l’intérieur même du territoire, le choix de destination évolue au gré des changements climatiques. Avec le morcellement des littoraux rongés par la montée des eaux, certains territoires touristiques vont voir leur paysage changer, et le tourisme évoluer.
Sécheresse et canicules au sud, fraîcheur relative à la montagne l’été : peu à peu le tourisme va changer de visage sur le territoire. L’étude cite notamment « la belle fréquentation touristique en Bretagne, Normandie et Pays de la Loire au cours de l’été 2023, laquelle s’est faite au détriment des régions du sud ».
La croissance du tourisme durable est-elle un leurre ?
La route du secteur semble mener tout droit vers un tourisme durable généralisé. Des acteurs engagés font office de locomotive ; à la suite desquelles les entreprises plus classiques développent à leur tour des offres responsables. Les grands acteurs ont des obligations RSE, les plus petits cherchent aussi à changer leurs pratiques, leurs dépenses énergétiques, leur gestion de l’eau. Tous, peu à peu, apprennent à ne pas tomber dans les pièges du greenwashing,
Pourtant, la croissance du tourisme durable n’est pas aussi évidente qu’elle paraît. Pour l’instant, insiste l’étude, l’offre durable reste une offre de niche.
Poussée par de grands événements sportifs, le tourisme reste encore largement un tourisme de masse. À tel point que certaines destinations particulièrement touristiques ont dû se résoudre à des solutions de démarketing ou une politique de quotas.
La tendance au « revenge travel » post-covid constitue, elle aussi, un appel d’air. C’est le cas, explique l’étude Xerfi des touristiques asiatiques (et notamment chinois) qui reviennent sur le vieux continent, mais les touristes français ou européens ne boudent pas non plus leur plaisir.
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Une tendance que Cathy Alegria résume en expliquant que « le tourisme de masse a encore de beaux jours devant lui. Le revenge travel se matérialise d’ailleurs par des pics d’affluence dans de nombreux sites touristiques tandis que les destinations lointaines sont de nouveau très prisées. Quant au train, vanté pour ses vertus écologiques, il coûte deux fois plus cher que l’avion et les trajets de nuit sont toujours rares. »
S’ils affirment haut et fort une volonté de se tourner vers un tourisme plus responsable, les voyageurs ne semblent pas encore prêts à abandonner le long-courrier (l’étude note : « les niveaux de remplissage des avions ont presque retrouvé leur niveau pré-pandémique au cours de l’été 2023 »).
L’étude Xerfi nous apprend aussi que « 40 % des Français veulent voyager durable sans faire de concessions » et qu’en termes de choix du transport, « seul un tiers d’entre eux prennent véritablement en compte les questions environnementales ».
À cela s’ajoute le prix, en période d’inflation, et l’aspect compliqué que revêt l’offre de tourisme durable : « la jungle des labels et le flou des concepts de tourisme durable perdent quant à eux un peu les consommateurs ».
Reste un problème de volontarisme politique en matière de rail : des billets trop chers, des infrastructures pas à la hauteur de l’enjeu… Peut-être qu’une politique tourisme durable plus ambitieuse pourrait réduire le gap entre la parole et les actes ?
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